Monday, 29 December 2025

Le discours de haine en RDC : symptôme d'une agression, non sa cause

Le « discours de haine » en RDC : symptôme d'une agression, non sa cause

Auteurs :
Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte Bienvenue
Improve Africa, London, UK

Introduction : inverser le diagnostic

Ce que certains acteurs internationaux qualifient aujourd'hui de « discours de haine » en République démocratique du Congo constitue avant tout la conséquence directe – et non la cause – d'une agression militaire, sécuritaire et économique du Rwanda qui perdure depuis près de trois décennies.

Exiger d'une population agressée qu'elle exprime sa colère, sa souffrance et son sentiment d'injustice dans un langage policé, alors que ses territoires sont occupés, ses civils massacrés, ses millions de déplacés abandonnés et ses ressources pillées dans une impunité quasi totale, relève d'une inversion des responsabilités qui mérite d'être dénoncée.

I. L'agression rwandaise : cause première de la crise

Une occupation militaire multiforme

L'Est de la RDC subit une agression permanente caractérisée par :

  • La présence directe des forces rwandaises (RDF)
  • La création, l'encadrement et le soutien de groupes armés
  • L'exploitation illégale et systématique des minerais congolais
  • La déstabilisation institutionnelle de l'État congolais

Une pathologisation de la victime

Réduire la colère populaire congolaise à un « discours de haine » revient à pathologiser la réaction de la victime au lieu de nommer l'agresseur. Cette approche déplace la faute et criminalise la souffrance plutôt que d'identifier sa source.

II. L'instrumentalisation de l'accusation de "discours de haine anti-Tutsi"

Une stratégie politique délibérée

Le régime rwandais utilise systématiquement l'accusation de "discours de haine envers les Tutsi" comme un instrument politique aux multiples fonctions :

  1. Justifier l'agression : présenter l'occupation militaire de l'Est de la RDC comme une mesure de "protection"
  2. Inverser les rôles : transformer l'agresseur en victime et la victime en agresseur potentiel
  3. Criminaliser toute critique : assimiler toute dénonciation de la politique de Kigali à de la haine ethnique
  4. Établir une hiérarchie ethnique : imposer la supériorité d'une ethnie sur les autres populations congolaises

Un mensonge stratégique aux conséquences dramatiques

Cette instrumentalisation constitue un mensonge politique qui vise à :

  • Masquer la réalité de l'agression : détourner l'attention des massacres, du pillage et de l'occupation
  • Protéger une ethnie privilégiée : justifier des privilèges et une impunité au détriment des autres communautés congolaises
  • Légitimer la violence : présenter les massacres d'autres ethnies comme des actes de "légitime défense préventive"
  • Imposer un silence : interdire toute critique de la politique rwandaise sous peine d'être accusé de génocidaire

La réalité : une critique politique, non une haine ethnique

Il est fondamental d'établir une distinction claire entre :

  • La haine ethnique organisée : une construction idéologique visant à déshumaniser un groupe sur base de son identité
  • La colère politique légitime : la dénonciation d'un régime agresseur, de ses forces armées et de sa stratégie de déstabilisation

Lorsque des Congolais dénoncent le Rwanda, les RDF, Paul Kagame ou leurs alliés, ils ne tiennent pas un discours de haine ethnique : ils décrivent une réalité politique et militaire vécue au quotidien. Ils critiquent :

  • Un régime et sa politique expansionniste
  • Une armée et ses crimes documentés
  • Des groupes armés et leur violence
  • Une stratégie d'occupation et de pillage

Cette critique politique ne peut être confondue avec une attaque ethnique.

L'égalité des ethnies congolaises : un principe non négociable

Toutes les ethnies de la RDC, y compris les Tutsi congolais, ont les mêmes droits et la même dignité. Aucune ethnie ne peut prétendre à une supériorité ou à des privilèges au détriment des autres.

La protection légitime d'une communauté ne peut justifier :

  • L'agression d'un pays souverain
  • Le massacre d'autres populations
  • L'occupation militaire de territoires
  • L'établissement d'une hiérarchie ethnique

La vraie question

La véritable interrogation n'est donc pas : « Comment lutter contre le discours de haine en RDC ? »

Elle devrait être : « Pourquoi la communauté internationale tolère-t-elle qu'un régime instrumentalise la protection ethnique pour justifier une agression qui massacre, déplace et appauvrit des millions de Congolais de toutes origines ? »

III. La solution conforme au droit international

Des exigences rationnelles et légitimes

La résolution de cette crise passe par des mesures claires, connues et conformes au droit international :

  1. Retrait des RDF : fin de toute présence militaire rwandaise, directe ou indirecte
  2. Démantèlement des groupes armés soutenus par Kigali
  3. Cessation du pillage des ressources naturelles congolaises
  4. Respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la RDC

Le jour où l'agression cessera, le terrain propice au « discours de haine » disparaîtra de lui-même, faute de combustible.

IV. L'inversion morale : moraliser les victimes, protéger l'agresseur

Une double injustice

Exiger des Congolais qu'ils modèrent leur langage sans contraindre le Rwanda à mettre fin à son agression constitue une double injustice :

  • Elle déplace la responsabilité sur la victime
  • Elle criminalise l'expression de la souffrance
  • Elle protège le plus fort au détriment du plus faible

Aucune société agressée durablement ne peut demeurer neutre émotionnellement. L'histoire mondiale le démontre sans exception.

Le blocage de l'aide humanitaire par Paul Kagame : une violence supplémentaire

Le refus de Paul Kagame d'autoriser l'ouverture de l'aéroport de Goma à l'aide humanitaire ne constitue pas un détail technique mais un acte politique délibéré aux conséquences dramatiques :

  • Prolongement de la famine
  • Aggravation des épidémies
  • Condamnation des populations déplacées
  • Transformation de la souffrance en arme de guerre

Cette obstruction de l'accès humanitaire par le président rwandais ne relève pas de considérations sécuritaires, mais de la punition collective d'une population civile. Elle illustre parfaitement comment l'agression rwandaise se manifeste également par le contrôle des corridors vitaux et l'instrumentalisation de la souffrance humaine.

V. Quand la souffrance devient « discours de haine »

Un peuple privé de tout

Des millions de Congolais ont perdu :

  • Leurs proches dans des massacres
  • Leurs villages détruits
  • Leurs perspectives d'avenir
  • Leur dignité fondamentale

Pourtant, on leur demande le silence, on requalifie leur douleur en « discours de haine », on criminalise le fait de nommer les responsables.

Une colère de survie, non une idéologie

Les Congolais ne réclament pas la glorification de la violence. Ils exigent :

  • La sécurité pour leurs familles
  • La reconnaissance de la vérité
  • La fin de l'impunité
  • Le droit élémentaire de vivre sur leur terre
  • Le droit de pleurer leurs morts sans criminalisation

Lorsqu'un peuple est agressé depuis trois décennies et que ses enfants meurent pendant que la communauté internationale débat de sémantique, la colère n'est pas une haine : c'est un cri de survie.

VI. L'inacceptable : applaudir l'agresseur, censurer les victimes

Un double standard indéfendable

La communauté internationale exige des Congolais qu'ils applaudissent ceux qui :

  • Occupent leurs territoires
  • Pillent leurs ressources
  • Déstabilisent leurs institutions
  • Provoquent indirectement des famines

Tout en leur expliquant que leurs mots constituent le véritable problème.

Aucune société au monde n'aurait accepté pareille injonction : ni l'Europe sous occupation, ni l'Ukraine aujourd'hui, ni aucun autre peuple confronté à une agression prolongée.

Nommer la réalité n'est pas de la haine

Affirmer que le régime de Paul Kagame porte une responsabilité majeure dans la tragédie de l'Est de la RDC ne relève pas du discours de haine ethnique. Il s'agit d'un constat politique documenté, vécu et expérimenté par des millions de civils.

Dénoncer Paul Kagame, les RDF et leur stratégie, ce n'est pas attaquer les Tutsi. C'est critiquer :

  • Un chef d'État et ses décisions politiques
  • Une armée et ses opérations militaires
  • Une stratégie expansionniste et prédatrice
  • Un système d'impunité qui protège les criminels

L'instrumentalisation de la "protection des Tutsi" pour justifier des massacres de Hutu, de Hunde, de Nande, de Nyanga et d'autres populations congolaises constitue la véritable perversion.

La haine véritable consiste à :

  • Laisser mourir des populations et leur reprocher de crier
  • Bloquer l'aide humanitaire et exiger la gratitude
  • Faire taire la victime pour protéger l'agresseur
  • Établir une hiérarchie ethnique qui déshumanise les "autres"
  • Massacrer au nom de la "protection préventive"

Conclusion : la dignité avant la diplomatie

Un choix pour la communauté internationale

La communauté internationale doit choisir entre deux positions irréconciliables :

  • Soit elle défend réellement les droits humains et la justice internationale
  • Soit elle continue à protéger un récit qui humilie et criminalise les victimes

Elle ne peut exiger le silence d'un peuple affamé, déplacé et endeuillé tout en demandant de la gratitude envers ceux qui contribuent à sa souffrance.

Le chemin vers la paix véritable

La paix ne commence pas par la censure de la douleur. Elle commence par :

  1. La fin effective de l'agression
  2. L'ouverture des corridors humanitaires
  3. La reddition de comptes et la justice
  4. La restitution de la dignité aux populations

Tant que ces conditions ne seront pas réunies, accuser les Congolais de « discours de haine » demeurera non seulement un diagnostic erroné, mais une position moralement indéfendable.

Synthèse

Le « discours de haine » en RDC n'est pas une pathologie culturelle ou ethnique. C'est le symptôme politique d'une agression non résolue.

L'accusation de "discours de haine anti-Tutsi" brandie par le régime rwandais est un mensonge stratégique qui vise à :

  • Justifier une agression militaire
  • Criminaliser toute critique politique légitime
  • Établir une hiérarchie ethnique inacceptable en RDC
  • Protéger l'impunité des véritables auteurs de violences de masse

Traiter le symptôme sans éliminer la cause est voué à l'échec.

RDF hors de la RDC : la paix du langage suivra la paix des armes.

C'est aussi simple – et aussi exigeant – que cela.

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